Un parti-pris d'Espérance

intervention de Jean-Marc Bocquet à l'assemblée de l'Apostolat des Laïcs , ce samedi 14 novembre à Raismes

 


 

 

       Cette assemblée est, à ma connaissance, une première dans notre diocèse. Elle témoigne d’un mûrissement de nos groupes, associations, mouvements et services, qui sont souvent la part de l’Eglise la plus attentive à saisir les mutations de notre société, pour y inscrire dans le langage le plus pertinent possible, la Bonne Nouvelle de Jésus-Christ. Ces mutations, depuis 50 ans, se sont accélérées : technologies et communication (Internet), démographie (bouleversement de l’espace rural, urbanisation), sociologie (agglutination de populations en souffrance dans les espaces péri-urbains), économie (concentrations et mondialisation), morale (conception du couple et de la famille, sexualité), conception de l’Homme (bioéthique, droits de l’Homme). Travaillés par ces mutations, les « GAMS » (groupes, associations, mouvements et services) ont vécu une réadaptation permanente de leurs méthodes, organisation, supports institutionnels. Les 2 pieds au cœur de notre société et des gens qui forment  et la font vivre, l’Apostolat des Laïcs a pour « parti-pris d’Espérance », la bienveillance à l’égard de ce monde et de ses habitants.   

 

1.      A temps nouveaux, regard renouvelé.

 

      L’expérience que les « GAMS » ont acquise durant ces dernières années nous permet de dire clairement quelques convictions :

-         nous avons perçu que l’expérience chrétienne est pertinente au cœur de notre société. Nullement dépassée ou « ringarde », comme le proclament les tenants de l’idéologie dominante. La curiosité nouvelle pour la pensée sociale de l’Eglise, la force d’attraction des « nouveaux lieux d’Eglise » comme le Vivier, la place prise par des militants chrétiens au cœur d’associations tournées vers la défense de la dignité des gens ou le service de la population (CIMADE, conseils municipaux, CCAS, ATD, Secours Catholique et CCFD, etcetc…) en sont le témoignage explicite.

-         Nullement désemparés par les évolutions de cette société, les GAMS sont des lieux où les croyants sont incités à dépasser l’instinct de survie où bien des catholiques seraient tentés de se réfugier, face aux remises en cause qui affectent l’Eglise, en particulier le magistère.

-         Les militants chrétiens, au cœur de cette Eglise, proposent l’expérience –non un rêve ou un désir mué en illusion- que, si nous nous y prenons comme il faut, l’Evangile apporte une boussole face aux questions qui taraudent nos contemporains : du Sens. Même s’il faut risquer d’être à contre-courant, des normes et dogmes des groupes dominants de la société, mais aussi dans l’Eglise, quand elle se montre figée et apeurée.

La pratique que nous essayons de mettre en œuvre peut se décliner selon diverses propositions dominantes :

-         en réponse à l’individualisme consumériste, la solidarité et le partage.

-         A l’esprit de domination, le service.

-         A la nécrose d’absurdité, au nihilisme de modèles de vie sans idéal, l’Espérance.

-         Au repli sécuritaire, le grand vent de la confiance.

         2. Des mutations en prise avec les appels de la société.

 

         Le souci des GAMS a toujours été d’incarner ici et maintenant l’expérience de Jésus. Ils ont été entraînés vers diverses adaptations et évolutions de leur démarche. Parmi d’autres, j’en retiendrai deux qui m’apparaissent communes et ouvrant des chemins féconds :                                                                                                                                               -   le partenariat, évoqué en de multiples rapports d’orientation. Non pas comme une mesure technique ou un palliatif à un manque de militants ou de forces à investir, mais un esprit, un goût de l’autre, une communion, une mise en œuvre de l’ecclésialité.

-   la diversification des manières de « faire mouvement ». La convivialité, la fête, le loisir, la famille, l’approche de la Parole de Dieu, la prière et la célébration, émergent comme des manières pour aujourd’hui de se réunir et de porter ensemble les questions de la vie.

        L’attitude de fond pratiquée par les GAMS est ainsi révélée :

-         Se saisir comme en lien avec toutes sortes de personnes, de toutes origines, de tous milieux, de toutes cultures et sensibilités (gens des banlieues, bobos, précaires, migrants, etc…) sans exclusive aucune. Les lignes de partage au cœur de la société se sont déplacées, et des personnes que nous aurions considérées comme non susceptibles de percevoir le message de l’Evangile, se révèlent réceptifs à la « première annonce ». Envoyés au cœur de la société, non pour y bâtir une contre-société, incisive, jugeante et dominatrice, mais pour y plonger comme un levain. Dans la discrétion. Être acteurs de propositions alternatives, non en surplomb, mais au-dedans.

-         La « démaîtrise ». L’objectif des GAMS n’est pas quantitatif (faire du « chiffre »), mais mettre les gens debout : vivre ainsi une certaine proximité avec l’attitude de Jésus (« Imitation de Jésus-Christ »). Il ne s’est pas agi pour lui, de ramener prostituées, boîteux, centurions, possédés ou étrangers au Temple, d’où ils auraient d’ailleurs été violemment exclus, mais de les remettre debout, de les rendre à eux-mêmes et à leur réseau de relations, à leur espace social. Gratuité.

 

La question se pose à nous de la visibilité de nos actions. Il faut sans doute se la poser. Mais rien que comme nous sommes, avançant pas à pas, sans esprit de stratégie ni de publicité, nous faisons l’expérience de constater que « CA MARCHE ». Malgré les embruns et les vents contraires, parfois, -pas d’angélisme-, plus cruels venant de catholiques bien établis. Ca marche même étonnamment bien dans notre diocèse. Je ne résiste pas à l’envie de vous dresser un petit palmarès :

-         session GREPO (prêtres, religieux et religieuses, laïcs en milieux populaires) sur les religiosités populaires (27-28 mai, Chevilly-Larue) : sur 160 participants, 25 du diocèse, meilleure représentation.

-         AFR (Année de formation rurale nationale) : sur 19 participants, 7 de Cambrai

-         Evènements Terre d’Avenir, du CCFD : 28 évènements sur le diocèse, record de France.

-         Session de Ciney sur la Pastorale de l’Engendrement (27-28 août) : 160 participants, 29 de Cambrai , meilleure représentation diocésaine.

-         Rencontre nationale des groupes de partage en quartiers à Lyon : sur 47 participants, 11 de Cambrai.

-         Session des diacres en Mission Ouvrière : 5 représentants du diocèse sur 80 participants.

-         Europafête des Enfants, le 9 mai à Avesnes : 180 enfants de Maastricht, Aix-la-Chapelle et d’ici réunis pour la 4ème fois : la revue de l’ACE  parle de cette initiative originale de construction européenne à la base.

-         Succès du rassemblement MRJC d’Orchies Epifolies (3 et 4-07) : 1000 participants espérés, 1800 présents. Rassemblement de la JOC à la Courneuve (2 mai) : 4 cars du diocèse. Rencontre des adultes accompagnateurs de JOC du Valenciennois à Raismes (25-09) : 22 présents. Le Vivier est pressenti pour organiser en 2010 la rencontre des nouveaux lieux d’Eglise. La dernière rencontre de l’Association des Semaines Sociales du Nord Pas-de-Calais, sur la dernière encyclique, a réuni 120 personnes (60 attendues par le staff lillois). Continuez vous-mêmes la liste. Nous avons pu préparer cette assemblée avec des responsables nationaux issus du diocèse : VEEA, ACF (présidents nationaux ancien et actuelle, ACO, CMR. L’ACI compte aussi un responsable national.

Et encore : combien de chrétiens formés par les mouvements animent aujourd’hui EAP et équipes relais ? En bien des lieux, les militants grandis dans l’une des instances de l’Apostolat des Laïcs forment la charpente de la présence chrétienne.

Le diocèse étonne, une vitalité nouvelle semble perçue par ceux qui nous croisent…Une dynamique est, je crois bien, en marche…. « Cherchez d’abord le Royaume de Dieu et sa justice, le reste vous sera donné par surcroît »….

 

2.      Pourquoi une assemblée de l’Apostolat des Laïcs.

 

Beaucoup d’entre nous participent à des instances civiles (conseils municipaux, organisations syndicales ou politiques, associations), ou ecclésiales (EAP, conseils de doyenné, relais et, bien sûr, mouvements et services). Sans faire de bruit. Ce que nous y apportons est souvent ignoré, y compris par nous-mêmes. Il apparaît qu’il ne suffit pas de vivre notre engagement, dans le silence et la discrétion. Nous avons du savoir-faire,  pas assez de « faire savoir ». Il convient de dépasser le « simplement vivre », et de proposer nos groupes à des personnes qui, souvent, n’attendent que ça : une expression de foi cohérente avec les questions concrètes qui se posent à notre société. La crise amène un risque de repli, y compris dans l’Eglise. Elle est travaillée par des tendances organisées, qui tirent l’Eglise en arrière. Mgr Joseph Doré les désignait comme « spiritualistes, identitaires et cléricales », secrétées par la nostalgie d’une époque où l’Eglise dominait. Dans ce contexte, qui affecte aussi notre diocèse, l’objet de cette assemblée est multiple :

-         se sentir plus forts ensemble pour exprimer la sensibilité majoritaire mais souvent silencieuse, des catholiques de notre région : les mouvements ont profondément marqué les mentalités catholiques de notre diocèse, depuis 80 ans. Leurs intuitions sont toujours perçues comme voies d’avenir par une part très large des chrétiens identifiés, ou des personnes de culture chrétienne, qui, découragés par une certaine imperméabilité de l’Eglise aux questions contemporaines, se sont en masse retirés sur la pointe des pieds.

-         Oser se placer sous le regard des autres sensibilités, s’assumer comme chrétiens dans une société plurielle, pour laquelle la liberté d’opinion constitue un dogme. Démarche d’humilité.

-         Dire les inflexions nouvelles qui parcourent nos GAMS.

°    Evangéliser, c’est d’abord  reconnaître. Pas conquérir.

°  Le partenariat. Les paroisses, en particulier, ne sont pas un univers étranger aux GAMS, mais un champ à faire vivre. En particulier en ses fonctions qui touchent un public qui n’est pas a priori acquis, en questionnement ou en souffrance : préparation au baptême ou au mariage, funérailles, catéchèse, catéchuménat.

°  Mise en valeur de la Parole de Dieu, en particulier l’expérience de Jésus. Ou le cheminement dans une confiance obstinée d’un peuple de croyants, qui s’est révélé peuple de Dieu. Une Parole qui rejoint et ensemence notre propre expérience.

°  Avènement de l’accompagnement : nous vivons la fin d’un système de chrétienté qu’on nomme l’encadrement, où le clergé était clé de voûte. Nous entrons dans une perspective d’engendrement, qui permet de rendre compte, en croyants, d’un monde éclaté, mutant, précaire, facultatif: la « pastorale des rendez-vous ».

°  Dans ce contexte, la place du ministre ordonné apparaît sous un nouveau jour. Non comme leader ou meneur d’une pastorale, homme du sacré, guide ou donneur d’ordres inspiré. Mais cadeau qui vient sceller la capacité des croyants à accomplir l’œuvre du Christ. Homme parmi les humains, proche et serviteur. Le Service des Vocations (SdV) suggère que nous écrivions une lettre aux prêtres de notre connaissance. Voilà une bonne occasion de dire ce que nous avons reçu et ce que nous attendons des prêtres qui nous sont envoyés…L’appel au diaconat semble aussi une voie que nous n’avons pas suffisamment pratiquée jusqu’à présent.

°  La pensée sociale de l’Eglise. Elle suscite un intérêt croissant, après une période d’effacement. Comme recours, certes, après l’échec d’expériences menées au nom  d’idéologies qui se donnaient pour messianiques. Mais surtout comme formulation d’expériences  cumulées, rassemblant la prise en compte progressive par les chrétiens de la vie sociale et institutionnelle où devaient s’inscrire nos sociétés en vue de l’avènement d’une Terre où règnent justice et paix.

 

     Dans le diocèse, il me semble que les GAMS, par la qualité de leurs militants, ont acquis une maturité ecclésiale, un sens du partenariat et une crédibilité croyante au sein de notre société, suffisants pour échapper au soupçon qui les environne encore en divers lieux d’Eglise. Il leur a fallu une longue et confiante patience. De plus en plus, ils justifient leur mission, de présenter l’Eglise sous ses aspects vitaux et fécondants pour notre monde : l’option prioritaire pour les pauvres, le souci du respect de la dignité des gens comme fondement de la vie sociale ; l’articulation d’une pensée sur le monde autour de l’enchaînement « expérience, relation, Sens, Salut ».

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      Vous l’avez bien compris, l’ensemble de ces intuitions se rendent visibles à travers les Assises du Territoire. Par cette démarche, ce sont tous les chrétiens du diocèse qui sont invités à être acteurs d’Espérance jusque dans les recoins les plus méconnus de nos espaces.

-    Les croyants ou les chercheurs qui s’y impliquent se perçoivent comme solidaires et coresponsables de cette société à bâtir. Loin de la craindre ou de la mépriser.

-         Ils ont pour premier regard sur elle celui de la bienveillance.

-         Ils se font veilleurs et éveilleurs de tous ces bouts de salut qui permettent aux gens de vivre ensemble dans le respect mutuel.

-         Ils favorisent la mise en lien, la constitution de réseaux de solidarité et de fraternité.

-         Ils reconnaissent et valident les multiples actions où ils perçoivent un goût d’Evangile, accomplies par toute personne de bonne volonté, croyante ou non.

-         Ils donnent de l’Eglise une image de proximité, d’humilité, de souci de ceux qui n’existent pas selon les canons des groupes dominants de notre société, les préférés de Dieu.

 

 

 

 

                 Conclusion.

 

                 J’ose vous parler de réussite. Ce n’est guère courant, par les temps qui courent, dans l’Eglise, ni dans ce monde. Je n’entends pas ici les suffocations et les râles du mourant, mais le murmure et les susurrements du ruisseau qui verdit la campagne, et laisse espérer une féconde moisson. Le souffle de l’Esprit, discret, fécond, créateur de lien, qui, par la Parole entendue, nous tourne vers le Père. L’Eglise, si elle sait se mettre à l’écoute des gens, a devant elle un boulevard. Je cite ici Marcel Gauchet (interview de la Croix, 4-01-2008 :

" A partir du moment où les chrétiens sont « dans la démocratie », où ils n’ont plus la prétention de détenir le dernier mot sur l’ordre de la vie collective, une carrière considérable leur est ouverte dans la manifestation des valeurs et des options qui leur paraissent bonnes pour la vie dans la cité. Non seulement la religion n’est pas vouée à disparaître en tant que croyance, système de pensée, ordre de sens, mais elle trouve dans ce paysage une légitimité considérable, y compris aux yeux de ceux qui ne croient pas ! C’est une chose dont l’institution n’a pas encore pris la mesure. Son réflexe, devant la débandade des troupes et la désorganisation d’une civilisation millénaire, c’est le repli identitaire. Ce souci de garder le contrôle des troupes est compréhensible, mais il repose sur une erreur de diagnostic. […]  La réforme de l’entendement qui est demandée (aux chrétiens) est considérable, mais elle les assure d’une place tout-à-fait éminente dans la démocratie, et d’alliés très inattendus.

     Q. : En raison de son rapport à l’Histoire et à la personne humaine, le christianisme n’est-il pas particulièrement apte à vivre dans ce nouvel âge de la démocratie ?

     MG. : Je souscris entièrement à cette proposition, non comme théologien, mais comme historien. Je crois qu’il y a bien une affinité particulière du christianisme et du processus que nous sommes en train de vivre. Les accointances du christianisme avec le monde moderne me semblent devenir de plus en plus évidentes ."

 

     Mon appel est celui-ci : ayons confiance, osons sortir de nos champs privés, de nos citadelles, de nos espaces fortifiés. Le mot Eglise (Ekklesia) veut dire « appel au-dehors ». Risquons l’aventure, l’imprévu, la nouveauté, la jeunesse.

     Deux axes me semblent pouvoir guider notre vie de GAMS :

-         Dans l’Eglise, proclamer que ça vaut le coup de prendre cette société à bras-le-corps, sans complexe, avec assurance. Forts d’un message qui a franchi les âges et les frontières en donnant inlassablement la vie.

-         Dans la société : relever le défi de la culture au sens le plus vaste de manière de percevoir la réalité, qui tend à ringardiser l’expérience chrétienne, en proclamant qu’elle est une réponse  valide et féconde à la requête de sens qui tourmente notre monde. Nous avons des billes, tout plein, pour engager et soutenir le débat….

Article publié par catherine priester • Publié le Samedi 14 novembre 2009 • 5125 visites

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